06/05/2013 Texte

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Syrie/Israël: des frappes militaires à double tranchant

Le conflit syrien a-t-il pris une nouvelle tournure? C’est la question que se posent de nombreux observateurs après les raids opérés vendredi et dimanche par l’armée israélienne en territoire syrien. L’ONU, par la voix de son secrétaire général, Ban Ki Moon, s'est dite lundi "très préoccupée" par une possible escalade dans les combats, escalade qui pourrait, selon certains, embraser la région.

Car, désormais, le mélange des forces engagées sur le territoire syrien présente tous les ingrédients d’une explosion à dimension régionale. Mais la situation semble pour le moins illisible. Si des belligérants, à l’image du Hezbollah libanais, ont officiellement admis leur engagement dans le conflit, la position israélienne sur le dossier ne laisse pas d’intriguer.

"De premières frappes israéliennes ont eu lieu le 29 janvier", rappelle Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, à Paris. "Ces interventions étaient théoriquement liées à la destruction d’un convoi de missiles au Hezbollah". Et c’est avec un commentaire laconique, parvenu après les dernières frappes, que les autorités israéliennes expliquent aussi que celles-ci "avaient visé des dépôts d'armes iraniennes destinées au Hezbollah, assurant qu’ (Israël) ne permettrait aucun transfert d'armes au mouvement libanais". Peu après, Israël annonçait le déploiement le long de ses frontières de batteries anti-missiles.

Un objectif majeur: "le démantèlement du croissant chiite"

"Israël a deux préoccupations par rapport au conflit (syrien, ndlr)", explique Antoine Basbous. "D’abord, deux lignes rouges à respecter : ne pas transférer d’armes chimiques au Hezbollah ni au Front-al-Nosra, et empêcher les missiles balistiques d’être remis au Hezbollah, ainsi que des armes sol-air ou sol-mer", explique-t-il. Ensuite, empêcher les islamistes engagés dans la rébellion d’arriver au Golan, à la frontière israélo-syrienne.

Mais Israël a également un objectif majeur, à long terme: c'est, rappelle-t-il aussi, "le démantèlement du croissant chiite", formé par le Hezbollah, l’Iran et la Syrie, perçus comme une menace pour ses intérêts.

Une tactique serait alors d'attendre que le conflit s’enlise. "Grâce à une guerre longue, on pourrait aboutir à un nettoyage communautaire, et, in fine, à la création de trois Etats confessionnels": un Etat kurde au nord, un Etat regroupant la minorité chiite alaouite, confinée à un territoire restreint ; et, enfin, un territoire majoritairement sunnite.

Divergences internes et attitude occidentale

Israël viserait également l’affaiblissement de son ennemi juré, le Hezbollah libanais, toujours fort de "50 000 missiles et d’un service de renseignements performant". Présent sur le front syrien, le mouvement chiite doit également continuer à gérer le conflit, toujours latent, l’opposant à Israël, et tenir une position difficile dans la politique intérieure du Liban. "Il se bat sur plusieurs fronts", et Israël ne peut que s’en réjouir, commente Antoine Basbous.

Un point de vue, peu ou prou, partagé par Rudolf El-Kareh, sociologue et politologue libano-français, spécialiste du monde arabe. "L'obsession israélienne est la suivante : premièrement, le renforcement structurel, politique, stratégique et militaire de l'Iran et de ses alliés, parmi lesquels figurent en bonne place, mais ce ne sont évidemment pas les seuls, la Syrie, et la Résistance Libanaise et notamment le Hezbollah", explique-t-il. Ensuite, "tout ce qui est en mesure d'affaiblir l'Etat, la société et l'armée syrienne, et de façon générale le camp de ses adversaires - notamment pour ce qui est de la question de Palestine - est bon à prendre pour les dirigeants de Tel-Aviv".

"Il existe néanmoins des divergences au sein de l'establishment politique et militaire israélien sur les méthodes et les moyens", tempère Rudolf el-Kareh, "car la partie adverse n'est pas démunie et dispose de moyens de rétorsion conséquents, notamment depuis la "Guerre des 33 jours" au Liban en 2006".

La réaction de l’allié américain pèse beaucoup dans le débat. Les Etats-Unis, très prudents dans le dossier, ont justifié les dernières attaques israéliennes par "le droit de se protéger de livraisons d'armes au Hezbollah". Mais rien n’indique que Barack Obama puisse mettre de côté sa prudence extrême qui est de mise dans ce dossier. Or, estime Rudolf el-Kareh, "rien ne peut être décidé par Tel-Aviv sans l'aval (des Etats-Unis), surtout en ce qui concerne l'attitude à adopter vis à vis de l'Iran".

Mais "dans la mesure où elle reste mesurée", ajoute Antoine Basbous, "une intervention israélienne va dans le bon sens, pour les Occidentaux".

Impact militaire négatif pour Damas, conséquences médiatiques profitables

Mesurée, peut-être. Manifestement très destructrice aussi, pour le gouvernement syrien. "L'impact militaire de l'attaque israélienne n'est sans doute pas complètement négligeable, puisque que c'est le bastion de la 4ème division du frère Maher qui a été sévèrement touché", explique le politologue François Burgat. Le président syrien en serait cependant réduit à l’usage de la menace, enchérit Antoine Basbous. Bachar el-Assad n’aurait pas les moyens d’ouvrir un autre front. "Il n'est pas complètement invraisemblable que le Hezbollah, plutôt que les Syriens, fasse usage de l'un des missiles qu'il a déjà à sa disposition", estime pour sa part François Burgat.

Mais la riposte pourrait aussi être d’une toute autre nature : "Ces frappes crédibilisent indiscutablement la communication du régime qui entend depuis longtemps passer pour être en butte non point à sa propre population mais à la coalition des amis de l'Etat Hébreu", ajoute-t-il.

Rudolf el-Kareh abonde: "Les attaques israéliennes sur lesquelles planent toujours de très nombreuses zones d'ombre renforcent paradoxalement la position politique de la Syrie", estime-t-il. "Damas ne va pas se priver de mettre exergue ce qui apparaît comme une collusion entre l'Etat d'Israël et les groupes armés agissant en Syrie, surtout au moment où un basculement des rapports de forces apparaît sur le terrain".

Signe d’un léger malaise, certains opposants au régime commentent prudemment les actions militaires israéliennes. "Un opposant en exil exorcisait hier sur sa page Facebook sa volonté de gérer cet inévitable malaise en disant 'ces frappes n'ont rien changé. L'État syrien demeure celui de la répression aveugle et des barils d'explosifs lancés sur la population depuis les hélicoptères’", raconte François Burgat.

Embrasement régional ? Les spécialistes n’en sont pas totalement convaincus. Du moins pas tout de suite : "Le point de non-retour n'est pas encore atteint à ce jour", estime François Burgat. Pour Rudolf El-Kareh, Israël pourrait difficilement reprendre des attaques directes contre le Hezbollah en territoire libanais : "Toute attaque contre ce pays peut avoir des conséquences incalculables en raison des alliances et des enjeux", dit-il. "Et les Israéliens le savent".

Un embrasement régional imminent? Peu probable

Si "l’intervention d’Israël est tout de même très importante dans l’affaiblissement du régime syrien", comme l’explique Antoine Basbous, le régime syrien pourrait donc tirer avantage de sa position de "victime" de l’ennemi historique, en tous cas vis-à-vis de certains interlocuteurs.

Quant à une importation du conflit en territoire libanais, la crainte d’une explosion généralisée reste plus grande. Même s' "il va de soi que le rôle militaire du Hezbollah, sous couvert d'engagement sur le terrain syrien ou vis à vis d'Israël sur sa propre frontière, constitue l'œil du cyclone qui pourrait déstabiliser à la fois le Liban et la région", estime François Burgat. "En tout état de cause", conclut Rudolf el-Kareh, "un nouveau palier a été franchi dans les degrés d'escalade de la crise régionale et internationale autour de la Syrie".

"Si l'on ne se dirige pas vers un processus politique concret, des opérations de ce genre et les ripostes qu'elles appellent font monter d'un nouveau cran les tensions et il arrive à un certain moment que l'embrasement généralisé soit l'effet d'un simple mouvement mécanique", ajoute-t-il.

W. Fayoumi
 

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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