02/07/2013 Texte

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Egypte : "Le bilan de Morsi est un échec total"

INTERVIEW - Alors que l'escalade se poursuit dans la crise politique où se trouve plongée l'Egypte, Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes (OPA) et auteur du Tsunami arabe*, revient pour le JDD.fr sur les enjeux de ces manifestations. 

 

Comment peut-on expliquer que la mobilisation contre le président égyptien Mohamed Morsi ait pris une telle ampleur?

La colère est profonde, et elle s’accumule. Les chiffres varient entre 14 et 17 millions de manifestants : même les enterrements de Nasser et de la diva Oum Kalsoum (cantatrice égyptienne considérée comme la plus grande chanteuse du monde arabe, Ndlr) n’ont pas mobilisé autant de monde. Mohamed Morsi doit comprendre qu’il est rejeté par le peuple. Son bilan est un échec total. Les gens ont moins d’électricité, moins de gaz, moins de pain, moins d’eau. La situation s’est dégradée, et la seule chose que les Frères musulmans ont fait est d’augmenter le nombre de hauts fonctionnaires pour rendre l’Egypte compatible avec leur doctrine.

 

Comment expliquer l’échec politique et économique de Morsi un an après son élection?

Les Frères musulmans se sont surtout préoccupés de verrouiller le système, d’installer leurs hommes. Et comme ils n’ont aucune expérience dans la gestion des affaires publiques, ils se sont plantés. Ils pensaient qu’il suffisait de répéter des slogans comme "l’islam c’est la solution". Mais les Égyptiens n’ont pas besoin qu’on leur apprenne à prier. Ils ont besoin d’un meilleur niveau de vie : de pouvoir d’achat, d’une meilleure couverture de santé, d’infrastructures. Tout ça fait défaut. Parmi les gens qui sont dans les manifestations aujourd’hui il y a d’ailleurs aussi des islamistes qui étaient à l’origine avec Mohamed Morsi. 

 

Quelles sont les options dont dispose désormais le président Morsi? Peut-il miser sur un pourrissement de la situation?

 

A l’origine, il misait sur le pourrissement. Il sait que rester sur des places par des températures caniculaires pendant plusieurs jours, plusieurs nuits, est difficile. Mais comme le mouvement Tamarod (rébellion en arabe, à l’initiative de la mobilisation de dimanche, Ndlr) et l’armé ont lancé des ultimatums, Mohamed Morsi devait réagir. Mardi soir, chacun va compter les siens. Et Mohamed Morsi peut finir par accepter la feuille de route de l’armée, qui prévoit de ne pas exclure les frères musulmans. Autre option, les radicaux de la confrérie peuvent se dire : "nous avons été 80 années dans l’opposition, nous ne voulons pas revivre ça", et s’engager dans une guerre civile à l’algérienne.On peut enfin imaginer que si Mohamed Morsi s’entête, les manifestants montent au palais, et à ce moment-là il sera obligé de s’en aller.

 

Comment doit-on interpréter l’ultimatum lancé par l’armée à Mohamed Morsi? Quel rôle peut-elle jouer dans cette crise?

L’armée ne compte pas mener un coup d’état. Elle compte diriger depuis l’arrière, à travers une coalition de civils. Le pays n’a plus de recettes dans ses caisses, il vit grâce au virement mensuel du Qatar. L’armée est consciente que le pays est en état de faillite virtuelle, elle n’a pas envie de se griller en occupant le devant de la scène.  

*Le tsunami arabe, d'Antoine Basbous (Fayard, 384 pages, 19 euros)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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