04/09/2013 Texte

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Faut-il intervenir en Syrie? La bataille d'arguments

DECRYPTAGE - Le gouvernement veut convaincre les parlementaires du bien-fondé d'une action en Syrie. Mais nombre de responsables politiques y sont opposés. Quels sont leurs arguments respectifs? Revue de détails.

Les arguments favorables à une intervention

Les preuves avancées

Documents secrets déclassifiés à l'appui, Jean-Marc Ayrault a reçu lundi les responsables des groupes parlementaires pour les convaincre du bien-fondé d'un recours à la force contre Damas. Il leur a transmis une note de synthèse des renseignements français de neuf pages qui impute la responsabilité de l'attaque chimique "massive et coordonnée" du 21 août au régime d'Assad. Ce document chiffre à "au moins 281" morts le nombre de victimes le 21 août. Quarante-sept vidéos ont été recueillies par les services français, et six d'entre elles, aux images particulièrement violentes montrant notamment des enfants en "détresse respiratoire" ou en "hypersalivation mousseuse", ont été mises en ligne lundi soir sur le site de la Défense. La note des services français indique en outre qu'il y a eu "au moins trois attaques chimiques depuis avril", outre celle du 21 août, à la mi-avril à Jobar et le 29 avril à Saraqeb.
La crédibilité sur la scène internationale

"La pire des solutions à ce stade serait d'adresser un signal d'impunité au régime syrien, mais aussi à d'autres puissances et d'autres groupes dangereux", met en garde l'ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, dans une interview au JDD. "L'absence d'intervention de la communauté internationale sera la signature de son impuissance et la porte ouverte à l'impunité", expliquait aussi au JDD.fr Noël Mamère, membre de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale. Un message directement adressé à d'autres dictatures."Si l'Occident ne réagit pas, l'Iran pourra continuer allégrement son programme nucléaire et la Corée du nord pourra faire tout ce dont elle a envie sans avoir peur de qui que ce soit", prévient Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes (OPA), joint par leJDD.fr.


La "ligne rouge" franchie

Barack Obama avait fixé la nécessité d'une intervention à une "ligne rouge" très définie : l'utilisation d'armes chimiques. Or, depuis que le régime syrien a utilisé du gaz sarin contre sa population le 21 août dernier,les Occidentaux n'ont plus vraiment le choix. Et doivent, s'ils veulent tenir leur parole, au moins "punir" le régime de Bachar el-Assad. Washington et Paris parlent pour l'heure d'"action punitive".François Hollande répète qu'avec l'usage d'armes chimiques, la Syrie a violé les règles internationales en vigueur et que "ce crime ne peut rester impuni". Délicat pour le président de faire marche arrière, d'autant que la France a depuis le début du conflit été une des premières à s'investir dans le dossier syrien.
Les arguments défavorables à une intervention
Le risque d'une déstabilisation de la région

C'est l'argument avancé par de nombreux experts et par certains politiques, à commencer par Marine Le Pen. Cette région du monde est "une poudrière", a mis en garde la présidente du FN. Mais pour Antoine Basbous, la région est de toutes façons d'ores et déjà déstabilisée. "Il ne faut pas penser qu'avec Assad c'est la stabilité. Il a fait 110.000 morts en deux ans et demi et6 millions de réfugiés et de déplacés", souligne-t-il.Et d'ajouter : "La région est déstabilisée par un dictateur qui, au lieu de se retirer, s'accroche et transforme la revendication démocratique en guerre confessionnelle pour pouvoir se maintenir sur une partie de la Syrie et créer une partition du pays sur des bases ethniques et confessionnelles."

Les Etats-Unis, maîtres du jeu

La décision de François Hollande d'intervenir en Syrie est conditionnée à celle de Barack Obama. Le président américain a décidé de faire voter le Congrès pour légitimer sa volonté d'intervenir. Mais la France ne peut pas prendre une décision sans l'indispensable soutien des Etats-Unis. "La France à elle seule ne représente pas une dissuasion suffisante d'autant plus qu'elle n'a pas forcément la légitimité d'une action dans laquelle elle mettrait toutes ses forces dans la bataille , sans que ses intérêts directs aient été ciblés", estime Antoine Basbous. Plusieurs personnalités politiques françaises déplorent la dépendance de Paris à Washington. Le vice-président du FN Florian Philippot parle d'"une diplomatie de cow-boy" quand Jean-Luc Mélenchon accuse la France de suivre "la propagande nord-américaine".
Et après?

Le précédent libyen laisse envisager de nombreuses possibilités. "En Syrie, on peut craindre que le chaos succède au chaos", a prévenu l'ex-ministre Rachida Dati. "Si on reste les bras croisés avec juste des communiqués, on ne maîtrisera pas l'avenir", répond Antoine Basbous."Si on ne fait rien ou si on fait quelque chose,les jours d’après seront toujours incertains et plein de sang", estime-t-il. Tout dépend, selon lui, de la forme que prendra l'intervention de la coalition : "Si les Occidentaux lancentquelquesmissiles et rentrent après, la dissuasion ne joue pas et le faible va continuer à terroriser le fort."


La menace islamiste

C'est ce que redoutent plusieurs responsables politiques. "À qui s’apprête-t-on à donner la Syrie et de larges pans de la région? À des forces fondamentalistes engagées dans une entreprise globale d’instauration de l’islamisme politique, au cœur de l’affrontement séculaire et désormais brûlant entre sunnites et chiites", écrit François Bayrou dans une lettre à François Hollande publiée dans le JDD. Une hypothèse alimentée par les exemples libyen et égyptien. "Les islamistes sont déjà là. C'est Assad qui les a libérés de ses prisons et qui a reçu les renforts d’Al-Qaïda dont les membres sont hébergés par l’Iran et commandités par lui", fait valoir Antoine Basbous. "Après la bataille, il y en aura une deuxième, celle de savoir qui contrôlera le cœur de la Syrie, entre les djihadistes et l'Armée syrienne libre", résume ce spécialiste, relativement confiant : "Dans la mesure où l'ASL sera soutenue par les Occidentaux, les djihadistes ne prendront pas le pouvoir.

Caroline Vigoureux - leJDD.fr

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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