24/12/2013 Texte

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Attentat meurtrier en Egypte: «l'insécurité a migré vers les grandes villes»

Ce mardi 24 décembre, un attentat a fait au moins 15 morts en Égypte. Une voiture piégée a explosé devant un bâtiment de la police à Mansoura dans le delta du Nil. Le Premier ministre Hazem Beblaoui a attribué l'attaque aux Frères musulmans. Antoine Basbous, politologue et directeur-fondateur de l'Observatoire des pays arabes, revient sur cette situation de violence.

RFI : Depuis la destitution de Mohamed Morsi le 3 juillet dernier, les violences sont quotidiennes en Égypte. Le gouvernement actuel, soutenu par l'armée, pointe à chaque fois du doigt les Frères musulmans. Cela est-il justifié selon vous ?

Antoine Basbous : À vrai dire, le bras de fer continue depuis le renversement du président Morsi en juillet dernier, puis à la suite de la violente dispersion des rassemblements du Caire à la mi-août. Il y a, par conséquent, un bras de fer qui se poursuit.

Au début, c’était simplement dans le Sinaï. Mais maintenant, l’insécurité a migré vers les grandes villes. Elle a frappé au Caire et maintenant à Mansoura. Donc cela s’inscrit, à mon avis, dans un long conflit entre la confrérie et l’Etat égyptien.


RFI: Peut-on attribuer à la confrérie ce genre d’attaques qui se multiplient depuis le 3 juillet dernier ?

Antoine Basbous : Mohamed el-Beltagy, qui était un dirigeant des Frères musulmans très proche du président, avait lui-même fait l’association en affirmant : « Rétablissez le président Morsi à la présidence, et les attaques cesseront dans le Sinaï. » Or, les attaques dans le Sinaï étaient menées par les jihadistes, avec sans doute une contribution du Hamas, à travers les tunnels de Gaza. Donc, il y a une association qui s’est installée entre l’insécurité dans le Sinaï - et maintenant plus au sud dans les villes égyptiennes - et les Frères musulmans.

RFI: Ceux qui perpétuent ces attaques n’ont-ils pas, tout simplement, une volonté de déstabiliser le gouvernement actuel, de vouloir bloquer le processus électoral qui s’enclenche ?

Antoine Basbous : Il y a quelque part une guerre d’usure qui s’est installée. La migration de la violence du Sinaï vers les grandes villes voudrait d’une part empêcher le retour des touristes, et donc des devises que les touristes apportent d’une part, et le retour des investisseurs pour affaiblir le nouveau régime.

Et en même temps, il y a un référendum qui va avoir lieu à la mi-janvier sur la nouvelle Constitution. La confrérie, qui a appelé au boycott, veut déstabiliser le pouvoir et empêcher, si c’était possible, la tenue du référendum ou tout au moins l’endeuiller et le déstabiliser.

RFI: Les Frères musulmans, on le voit, font l’objet d’une vraie répression. La plupart de dirigeants sont aujourd’hui emprisonnés. On peut dire qu’ils sont décapités. Peut-on parler de chasse aux sorcières, ou cette répression est-elle justifiée ?

Antoine Basbous : D’une part, le président déchu et les Frères arguent de leur légitimité électorale et réclament le rétablissement de Morsi à la tête de l’État. Et d’autre part, on ne peut pas oublier combien de millions d’Égyptiens sont descendus dans la rue pour le chasser du pouvoir début juillet, voire exactement le 30 juin.

Il y a par conséquent une réelle confrontation entre deux branches de la population égyptienne. Une branche minoritaire, celle des Frères musulmans, continue de dire qu’elle est légitime, et l'autre frange de la population, hostile aux Frères musulmans et qui n’en voulait plus après une année d’exercice du pouvoir. Donc là, il y a vraiment une confrontation très ouverte entre les deux branches.

RFI: Faut-il tout simplement bannir les Frères musulmans, qui pourtant ont une légitimité, puisqu’ils ont été élus aux élections ?

Antoine Basbous : Il faudrait que les Frères musulmans soient, à mon avis, partie intégrante du jeu politique. Mais pour cela, il faudrait aussi qu’ils abandonnent la violence. Comme ça, ils s’imposeraient comme une partie prenante du jeu politique. Parce qu’ils représentent tout de même 10 à 15% de l’opinion publique et ils sont structurés, ils sont déterminés. Ils ne comptent pas en rester là.

RFI: Et si les violences sont abandonnées, vous pensez qu’on peut avoir une vraie démocratie avec les Frères musulmans et d'autres partis ?

Antoine Basbous : Parler de démocratie, dans un pays où vous avez les fatwas qui gèrent les élections, et dans lequel il y a 40% à peu près d’analphabètes, c’est un peu prématuré. La démocratie viendra, mais beaucoup plus tard, une fois que la société aura mûri et que l'ensemble des Égyptiens se seront imprégnés des valeurs de la démocratie, et pas seulement les élites.

RFI: Un mot sur les conditions de détention de ces 450 Frères musulmans actuellement incarcérés, qui ont entamé une grève de la faim ; selon vous, c’est un vrai bras de fer qui a commencé avec le pouvoir, avec l’armée ? Si oui, ces prisonniers peuvent-ils obtenir gain de cause ?

Antoine Basbous : Le nombre de Frères musulmans incarcérés se compte par milliers. En revanche, il y a 450 prisonniers qui ont décidé de faire une grève de la faim. Avec les modes, les vecteurs d’Internet et de communication actuels, c’est une pression qu’ils exercent contre le gouvernement.

Cela rappelle un peu les précédents bras de fer entre la confrérie et le régime égyptien. Rappelez-vous dans les années 1950, la répression a été beaucoup plus dure et elle a duré longtemps. Aujourd’hui, les Frères musulmans, même emprisonnés, ont le moyen de communiquer et ils voudraient exercer des pressions sur le nouveau régime pour relâcher la pression.

 

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OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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