14/08/2014 Texte

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Pourquoi les jihadistes de l'Etat islamique coupent-ils la tête de leurs adversaires ?

A plusieurs reprises, les combattants de l'EI ont exhibé les têtes de soldats syriens et irakiens. Quelles motivations se cachent derrière une telle barbarie ?

Plantées sur les pics d'une clôture, les têtes de soldats syriens sont exhibées en plein centre-ville. Des badauds, téléphones portables à la main, immortalisent cette macabre exposition, pendant qu'un autre se bouche le nez. La scène, filmée par une équipe de Vice News et mise en ligne le 7 août, se passe à Racca (Syrie), capitale de l'Etat islamique (EI). Une photo, peut-être prise au même endroit, montre un jeune enfant brandissant la tête d'un soldat syrien.

Ces images témoignent une énième fois des atrocités commises par ce groupe qui contrôle une partie de la Syrie et de l'Irak. Ils ne sont bien sûr pas les premiers à couper des têtes. De la Rome antique à la guerre civile algérienne, en passant par la Révolution française ou le Japon de la deuxième guerre mondiale, le vainqueur a souvent coupé la tête du vaincu. Mais ce procédé reste la marque d'une barbarie d'autant plus glaçante qu'elle est ici volontairement exposée et médiatisée.

Pourquoi les jihadistes y ont-ils recours ? Quelles sont les motivations de ces mises en scène ? Francetv info a posé la question à des spécialistes du mouvement jihadiste.

Pour terroriser l'ennemi et les populations

Depuis le début de leur offensive en Irak, les combattants de l'Etat islamique "ne font pas de prisonniers", constate Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement, contacté par francetv info. Mais le souci d'éviter une gestion "coûteuse et compliquée" des prisonniers n'explique pas les décapitations : les victimes sont en effet essentiellement exécutées par balles. La décapitation, parfois post mortem, toujours mise en scène (exhibitions, vidéos sur internet), obéit à un autre objectif : gagner la bataille psychologique.

"Ces décapitations sèment la terreur chez l'ennemi et le poussent à s'enfuir sans combattre, analyse Antoine Basbous, fondateur de l'Observatoire des pays arabes, un cabinet de conseil. Cela permet de compenser le manque d'hommes dans les rangs de l'Etat islamique. C'est 'moins de forces, plus d'effets'." Cette terreur, combinée à la désorganisation de l'armée irakienne, explique le succès de l'EI. "Cette arme fonctionne très bien en Irak : avant leur arrivée, on entend parler d'eux", abonde Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen.

Cette arme n'est pas seulement destinée aux ennemis de l'extérieur. Elle permet de soumettre à l'Etat islamique les populations des zones qu'il contrôle. En Syrie, dans la région de Deir Ezzor, l'EI a exposé début août les têtes de trois membres d'une tribu rivale dans le village d'Al-Jurdi, rapporte l'Observatoire syrien des droits de l'homme (en anglais). "Quand vous êtes un villageois et que vous voyez ça, vous vous dites : 'je serai peut-être le suivant si je ne me soumets pas'", résume Antoine Basbous.

Pour écraser la concurrence

Cette violence permet à l'EI d'affirmer sa suprématie sur les autres groupes jihadistes qui pullulent en Syrie. "C'est une carte de visite dans la compétition entre les mouvements radicaux. Celui qui est le plus brutal est probablement celui qui a la plus grande force d'attraction", estime Hasni Abidi. "Il y a une surenchère dans l'horreur, constate Myriam Benraad, spécialiste de l'Irak au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri). Ils procèdent à des actes barbares pour s'imposer comme le groupe jihadiste le plus dur."

Rester sur la première marche du podium facilite en effet le recrutement de combattants pour l'Etat islamique. Le groupe, qui s'appelait auparavant l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), est l'un des rares à accueillir à bras ouverts les combattants venus du monde entier. La plupart des Français partis combattre en Syrie, comme Mounir, Tewffik, Nicolas et Jean-Daniel, l'ont d'ailleurs fait sous la bannière de l'EIIL.

Parce qu'ils interprètent le Coran "à leur sauce"

L'Etat islamique n'est pas le premier groupe jihadiste coupeur de têtes. Son ancêtre, Al-Qaïda en Irak, a décapité de nombreux otages dans les années 2000, tout comme le Groupe islamique armé (GIA) algérien dans les années 1990. Outre l'objectif d'inspirer la terreur par un acte barbare, la décapitation a des motivations historiques et religieuses. Comme l'expliquait Jeune Afrique en 2004, elle fait partie de l'histoire de l'islam, avec notamment plusieurs intellectuels décapités au Xe siècle. On trouve également sa trace dans deux sourates du Coran (8, verset 12 et 47, verset 4) où il est conseillé de frapper ses adversaires au cou.

Ces éléments permettent aux jihadistes de justifier leur barbarie par la religion. "Chacun interprète les écrits à sa sauce. Il y a ceux qui vont sortir du Coran les versets qui appellent à la tolérance religieuse, d'autres vont au contraire mettre en avant les versets belliqueux qui appellent à contraindre les non-croyants", explique Antoine Basbous. "Le contexte du début de l'islam, caractérisé par des conquêtes, n'est pas le même, rappelle Myriam Benraad. Il y a une dérive dans l'interprétation de ces textes pour justifier tout et n'importe quoi."

Par Thomas Baïetto

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OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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