21/08/2014 Texte

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Etat islamique: «La terreur est utilisée comme arme psychologique»

INTERVIEW - La décapitation du journaliste américain revendiquée par l'Etat islamique en est une nouvelle preuve, selon Antoine Basbous, politologue spécialiste du monde arabe et de l'islam...

«Horreur», «terreur», «barbarie»… Les mots se bousculent dans les chancelleries après la décapitation revendiquée par l’Etat islamique du reporter américain James Foley. Un assassinat qui fait écho aux actes perpétrés par les djihadistes depuis leur implantation en Irak et en Syrie. Pendaisons, décapitations, crucifixions… Pour le politologue Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes et auteur de Tsunami arabe, la terreur est utilisée par l’EI comme une arme psychologique.

 

Comment expliquer ces actes de terreur?

La politique de la terreur compense en quelque sorte leur manque d’effectifs. Plutôt que d’engager le combat, les djihadistes cherchent à terroriser leurs adversaires pour qu’ils s’enfuient. Cette terreur, dont le recours dans un conflit armé ne date pas de 2014, produit ses effets: On a vu des soldats irakiens abandonner leurs positions sans combattre et des populations s’enfuir pour échapper aux djihadistes. De plus, beaucoup des commandants de l’EI sont passés par les prisons des anciens dictateurs de la région où ils ont enduré la torture. L’humiliation subie alors ne fait qu’exacerber la cruauté revancharde que l’on observe aujourd’hui.

Quel message est envoyé aux populations locales?

La terreur est utilisée comme une arme psychologique. Leurs adversaires savent que les djihadistes agissent sans pitié, sans jugement. Leur sort est déterminé à l’avance. Dans la province de Deir Ezzor (à l’est de la Syrie), les terroristes de l’EI ont tué 700 civils de la tribu des Chaï-tat [le 16 août]. Les chefs ont été pendus ou décapités et leurs corps laissés à la vue de tous. Ces exactions sont autant de messages adressés à toutes les tribus d’Irak et de Syrie: Voilà ce qui arrivera si vous ne prêtez pas allégeance à l’EI.

La décapitation du journaliste américain marque-t-elle une nouvelle étape?

Début août, nous avons assisté à la systématisation de la terreur; une terreur de masse contre les Yézidis et les Chrétiens qui a poussé près de 300.000 personnes sur la route de l’exode afin d’échapper à la barbarie – les femmes sont violées et rendues à l’esclavage, séparées de leurs familles. Mais l’exécution de James Foley, parce qu’il est américain et journaliste, apporte autant si ce n’est plus en termes de communication.

Cette décapitation est mise en scène…

C’est une mise en scène de l’horreur. Rien n’est laissé au hasard. La communication est soignée: Les djihadistes mettent à genoux un Américain vêtu de la tenue orange des prisonniers de Guantanamo. Le message indique clairement qu’ils se vengent de l’invasion américaine. Par ailleurs, le choix d’un djihadiste britannique dans le rôle du bourreau n’est pas anodin. Le fait qu’un Anglais tue un Américain a pour objectif de montrer que le réseau de l’EI s’étend désormais au-delà des terres islamiques et dispose de ramifications en Occident. La communication est très pointue.

C’est une nouveauté?

La communication de l’horreur ne date pas de l’EI. Le supplice de James Foley rappelle celui de Nicholas Berg, exécuté en 2004 par Abou Moussab Al-Zarqaoui, le chef de la branche irakienne d’al-Qaïda à l’époque. La mise en scène est seulement plus soignée aujourd’hui. Seules la rapidité et l’ampleur de la diffusion de cette propagande de l’horreur sont inédites, grâce à Internet et aux réseaux sociaux. Ses effets en sont par conséquent démultipliés.

A quoi cela sert-il?

Il y a une surenchère de l’horreur entre les islamistes. Les principaux concurrents de l’EI, le Front al-Nosra, n’ont jamais pratiqué ce genre d’exécution publique avec revendication. C’est une arme de recrutement pour ceux qui en veulent aux Occidentaux, qui sont dans l’agressivité la plus radicale.

Ces exécutions pourraient-elles se retourner contre les djihadistes? Le Pentagone envisagerait d’envoyer environ 300 soldats supplémentaires en Irak…

Barack Obama n’enverra pas de nouvelles troupes au sol car, au-delà du traumatisme causé par les pertes subies par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan dans l’opinion outre-Atlantique, une intervention directe ne ferait que servir les intérêts des djihadistes. L’EI justifierait sa présence en Syrie et surtout en Irak et pourrait recruter de nouveaux soldats avec cet argument: "Rejoignez-nous pour combattre les Américains qui envahissent une fois de plus un pays islamique." Pour vaincre les djihadistes, la seule option est de présenter un gouvernement d’union nationale à Bagdad, avec participation des sunnites, leur base sociale.

Propos recueillis par Thibaut Le Gal (20 Minutes)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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