10/09/2014 Texte

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Les Etats-Unis vont-ils bombarder l'Etat islamique en Syrie ?

S'ils veulent combattre efficacement les jihadistes, les Américains vont devoir s'en prendre à leurs bases arrières. Ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes.

Vous vous en souvenez ? Il y a pile un an, Barack Obama prévenait que les Etats-Unis allaient frapper la Syrie. La "ligne rouge" imposée à Bachar Al-Assad avait été sans cesse repoussée, mais le président américain avait fini par annoncer que "les Etats-Unis devraient agir militairement contre des cibles du régime syrien".

Depuis, les rebelles ont cessé de scruter le ciel dans l'attente d'un bombardement salvateur. Les Etats-Unis n'ont pas frappé. Mais un an plus tard, le sujet revient sur la table à Washington. Seulement, la cible n'est plus la même. Plus question de s'attaquer au régime, c'est l'Etat islamique (EI), déjà bombardé en Irak, qui est dans le viseur. Barack Obama présente officiellement, mercredi 10 septembre, à la veille des commémorations du 11-Septembre, un "plan d'action" pour lutter contre l'organisation jihadiste. Osera-t-il frapper en Syrie ?

Oui, car cela semble nécessaire pour lutter contre l'EI

"C'est indispensable, il ne faut pas laisser à Daech [l'acronyme de l'Etat islamique, en arabe] un havre de tranquillité en Syrie pour s'y réfugier et s'en servir comme d'une paisible base arrière." Contacté par francetv info, Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, n'est pas seul à penser que des frappes américaines s'imposent. Le chef d'état-major de l'armée américaine a prévenu que les Etats-Unis devraient tôt ou tard mettre leur nez en Syrie s'ils veulent éradiquer l'organisation terroriste : "Les jihadistes peuvent-ils être vaincus sans que l'on s'occupe de la branche en Syrie ? La réponse est non."

Emanation d'Al-Qaïda en Irak, l'Etat islamique a prospéré dans le chaos qui règne en Syrie, pays en proie à la guerre civile depuis plus de trois ans, avant de faire son grand retour en Irak. Aujourd'hui, l'organisation s'étend sur le nord de l'Irak et le nord de la Syrie, faisant fi des frontières. Ses bases les plus importantes se trouvent en Syrie. Dans ces conditions, quel intérêt à pilonner l'organisation en Irak sans l'attaquer en Syrie ?

Oui,  l'opinion américaine y est plutôt favorable

Politiquement, le sujet est délicat pour Barack Obama. D'un côté, il a été élu sur la promesse d'un retrait des troupes américaines d'Irak. Impossible, donc, de se redéployer en Irak ou en Syrie. De l'autre, après la décapitation de deux journalistes américains, il est la cible d'attaques sur son manque de fermeté et ses hésitations.

Seule issue : frapper depuis le ciel, comme c'est déjà le cas en Irak. D'ailleurs, si les sondages montraient en 2013 des Américains opposés à des frappes contre le régime d'Al-Assad, c'est l'inverse contre l'Etat islamique. En effet, 91% des Américains pensent que l'EI constitue une menace sérieuse pour les intérêts américains, selon un sondage publié par le Washington Post (en anglais), mardi 9 septembre, et 65% estiment qu'il faut étendre les frappes en Syrie.

Comme l'explique, dans Les Echos, l'ancien lieutenant général David Barno, qui travaille maintenant au Center for a New American Security, à Washington, "l'an dernier, nous avions affaire à une réaction internationale à l'utilisation d'armes chimiques, ce qui était certes horrible, mais plutôt une menace indirecte. Ce qui se passe cette fois se profile beaucoup plus comme une menace directe."

Quant au Congrès, "il est plus va-t-en-guerre qu'Obama, accusé d'être trop mou", notamment par les "faucons" républicains, estime Antoine Basbous. Les élus au Congrès ont fait savoir, lundi 8 septembre, qu'il y avait un consensus pour soutenir des frappes, et Barack Obama pourrait leur demander une autorisation spéciale s'il décide d'élargir ses frappes en Syrie. Bref, à l'approche d'élections de mi-mandat, tout le monde semble pressé de s'attaquer à l'Etat islamique.

Oui, la formation d'une coalition internationale est en bonne voie

Si la Maison Blanche obtient la légitimité nationale, il lui faudra aussi un soutien international. Contrairement à l'Irak, les autorités syriennes n'ont pas sollicité l'aide des Etats-Unis. Voilà pourquoi le secrétaire d'Etat, John Kerry, rencontre, jeudi 11 septembre, en Arabie saoudite, les chefs de la diplomatie des six pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), de l'Irak, de la Jordanie et d'Egypte.

Les Etats-Unis veulent bâtir une large coalition de plus de 40 pays, censée durer plusieurs années, pour vaincre les jihadistes ultraradicaux. Cette coalition devra avoir le soutien de l'ONU. Pour Antoine Basbous, ce n'est pas un problème : "Il n'y a pas d'obstacle. Aucun pays ne soutient publiquement Daech [l'Etat islamique]. Aujourd'hui, les pays arabes, l'Iran et les Occidentaux en ont peur, même si plusieurs Etats de la région avaient investi dans Daech avant de freiner. Il peut y avoir quelques difficultés sur les modalités d'intervention, mais elles devraient êtres balayées rapidement."

Non, il reste le problème Bachar Al-Assad

Tout se passerait sans accroc s'il n'y avait Bachar Al-Assad. Damas n'est pas opposé à ce que les Etats-Unis luttent contre les jihadistes, mais hors de question que cela se fasse sans son aval. Cela serait considéré comme une "agression", a prévenu le chef de la diplomatie syrienne. Des drones américains survolent déjà la Syrie pour récolter des informations sur les jihadistes. Mais Le Figaro (article payant) rappelle que la Syrie dispose d'une défense antiaérienne, de fabrication russe, qui pourrait compliquer les opérations de bombardements.

Surtout, la Maison Blanche ne veut pas conforter le président syrien en devenant son allié de circonstance, et martèle n'avoir aucun "projet de coordination avec le régime Assad au moment où nous faisons face à cette menace terroriste". Pourtant, en coulisses, une source syrienne à Damas a affirmé à l'AFP que "la coopération a déjà commencé et les Etats-Unis fournissent des informations à Damas par le biais de Bagdad et de Moscou".

Pour Antoine Basbous, Washington doit se décider à soutenir l'Armée syrienne libre (ASL, rebelles modérés) : "Il faut l'aider à se structurer et se renforcer. Jusque-là, elle a manqué de parrains : les Occidentaux ont été trop lâches et les Arabes n'ont fourni qu'une aide fragmentée". Une aide d'autant plus nécessaire pour faire du renseignement ou guider des frappes. "En Syrie, Bachar Al-Assad veut tirer la couverture à lui alors qu'il est le pyromane. Il ne faut surtout pas s'appuyer sur lui. D'autant que toute action pour le blanchir monterait contre nous l'ensemble du monde sunnite. Le rôle d'une ASL revitalisée est donc crucial".

Par Gaël Cogné (FranceTV info)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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