13/09/2015 Texte

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Syrie : la longue "agonie" de Bachar

Le débat sur une intervention militaire au sol contre Daech coïncide avec une série de défaites militaires du régime syrien, même si les axes stratégiques du pouvoir tiennent encore.


"Surréaliste". Ce mot revient souvent dans la bouche des visiteurs qui continuent de se rendre dans les zones encore sous contrôle du régime de Bachar El-Assad. Surréaliste de voir dans un tel souk les échoppes approvisionnées presque comme avant. Non seulement avec des victuailles locales mais aussi avec des produits "tombés du camion" : pots de Nutella, boîtes de lait Nido ou couches-culottes. Surréaliste de voir les Syriens continuer à acheter et vendre avec de la monnaie qui n'a pas tant augmenté que cela. Selon les chiffres officiels, invérifiables, l'inflation syrienne ne serait que de 117%. "Mais dans n'importe quel autre pays en guerre civile depuis quatre ans, ce chiffre serait multiplié par cinq!", constate un diplomate chevronné de la région et du pays. La planche à billets est bien là, alimentée par la Russie, où s'impriment les livres syriennes depuis 2012, alors que l'embargo a interdit à l'Autriche de continuer à le faire.

Le territoire d'Assad ne cesse de se rétrécir

Mais cette vague normalité dans les zones encore sous contrôle masque d'autres réalités. "Il existe un équilibre d'économie de guerre que les djihadistes et les forces du régime sont bien obligés d'entretenir et chacun laisse finalement passer ce dont l'autre a besoin", ajoute un observateur. Il en irait de même sur le front le plus critique du moment, celui de Deir ez-Zor, au sud de Raqqa sur les rives de l'Euphrate. Cela fait des mois que Daech tente de s'emparer de cette ville pour en faire une deuxième capitale régionale. "La nuit, Daech progresse, mais le jour, l'armée reprend ce qu'elle a perdu", a confié le gouverneur de la région à un diplomate de passage. Mais avec un peu de recul sur l'ensemble du pays, le territoire sur lequel règne encore Bachar El-Assad ne cesse de se rétrécir.

"Bachar est aux abois, analyse Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes (OPA). Rien que cette semaine, il a perdu une base désaffectée où des chars et de l'armement ont été récupérés par les djihadistes, une partie de la plus grande prison de Damas a été occupée, un point de contrôle essentiel dans le Qalamoun, à la frontière du Liban, a sauté lors d'un combat qui a fait 30 morts dont 18 combattants du Hezbollah." Daech est à l'offensive mais cela ne doit pas occulter le travail des autres milices d'insurgés. Notamment Jaish Al-Fath, l'Armée de la conquête, fédérant le Front Al-Nosra et plusieurs groupes salafo-djihadistes, qui serait forte aujourd'hui d'environ 30.000 hommes. Ils tiennent toujours la province d'Idlib, au nord-ouest, et se sont emparés cette semaine de deux localités alaouites importantes que le régime ne soutenait plus que par des parachutages.

Les Russes et les Iraniens à la rescousse

Pas étonnant dans ce contexte que les alliés viennent à l'aide. Les Russes, mais également les Iraniens. Selon Antoine Basbous, Téhéran prépare le coup d'après. "Aujourd'hui, Bachar est à l'agonie et chacun se penche sur son lit pour se partager déjà l'héritage." Pour preuve, selon lui, cette campagne actuelle enjoignant aux 200.000 habitants du quartier d'Al-Mazeh, à l'ouest de Damas, de quitter les lieux? À proximité du palais présidentiel, du QG des services de renseignement et d'une importante base aérienne, Téhéran aurait obtenu de réhabiliter cette zone pour la sécuriser, sur la route qui relie la capitale à la frontière libanaise et aux régions tenues par le Hezbollah. Après le Hezbollah et les pasdarans, déjà très présents et endeuillés par les combats en Syrie, Téhéran réfléchit aussi au projet de mettre sur pied, non plus des milices patriotes d'autodéfense mais des unités locales d'intervention encadrées par des soldats iraniens.

"C'est miraculeux que Bachar ait pu tenir jusqu'ici, commente Frédéric Pichon, expert de la Syrie, chercheur à l'université de Tours. Mais il doit sa survie à l'Iran qui lui a encore renouvelé une ligne de crédit de 4 milliards de dollars l'an dernier, le prix à payer pour que l'Iran obtienne le marché de la reconstruction de la Syrie." Dernier signe visible de la déroute de Bachar : l'invisibilité de l'un de ses plus vaillants soldats, le colonel Suhail Al-Hassan. Surnommé "le Tigre", cet officier qui avait pris la tête de nombreuses batailles de reconquête l'an passé, au point que certains voyaient en lui un nouveau héros capable de rivaliser ou de succéder à Bachar, ne serait aujourd'hui plus que l'ombre de lui-même, "un lapin édenté", selon l'expression d'Antoine Basbous.

François Clemenceau - Le Journal du Dimanche
 

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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