07/08/2021 Texte

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Liban-Israël: "Ni le Hezbollah ni Israël n'ont envie d'une nouvelle guerre actuellement"

La tension est montée d'un cran entre Israël et le Hezbollah après plusieurs échanges de roquettes et des bombardements, avec en toile de fond la mainmise de l'Iran sur le parti chiite.

La frontière libano-israélienne n'a jamais semblé aussi proche de s'embraser. Depuis mercredi, cette zone hautement sensible a été le théâtre d'échanges de roquettes et de bombardements entre Israël et le Hezbollah. Pour la première fois depuis 2006, Israël a fait appel à son armée de l'air pour bombarder le sud du Liban. Vendredi, le Hezbollah a revendiqué le tir de plusieurs roquettes en direction d'Israël. La Finul, la Force intérimaire des Nations unies qui agit dans le sud du Liban, a appelé à la désescalade, dénonçant une "situation très dangereuse".

Pour le politologue, Antoine Basbous, fondateur et directeur de l'Observatoire des pays arabes, ces attaques ne devraient pas se transformer en conflit, les deux camps craignant la puissance de feu adverse. Elles illustrent cependant l'influence de l'Iran sur le Hezbollah et sa capacité à peser dans les prochaines négociations concernant l'accord sur le nucléaire iranien dans les prochaines semaines.

L'Express. C'est la première fois depuis la guerre de juillet 2006 que le Hezbollah tire des roquettes contre Israël, qu'est-ce qui a déclenché cette attaque ?

Antoine Basbous. La première raison est interne au Liban. Il y a une colère dans le pays qui monte à l'occasion de la commémoration de l'explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020. La justice est bloquée et ne peut pas faire son travail, tandis que le Hezbollah est montré du doigt. Même des tribus arabes aux portes du fief du Hezbollah l'ont défié militairement la semaine dernière, créant des tensions entre les chiites et les sunnites. Le Hezbollah a choisi de faire diversion, c'est-à-dire de déplacer la tension de l'intérieur - où il est accusé de faire main basse sur le pays et de se heurter à des sunnites - vers la frontière israélienne. Là aussi, et c’est une première, des villageois druzes du sud fief du Hezbollah, ont osé intercepter vendredi le camion lanceur de roquettes, en molestant les miliciens avant de les remettre à l’armée !

En quoi le contexte est-il différent aujourd'hui ?

Antoine Basbous. Cette diversion intervient au moment où l'Iran est en train de se préparer au prochain round de négociations des accords de Vienne sur le nucléaire, c'est pourquoi nous avons assisté à des attaques de drone et de missiles contre l'ambassade américaine et des bases de l'US Army en Irak, ainsi qu'à des attaques contre les forces américaines en Syrie. En mer également, une attaque de drone a touché un pétrolier détenu par un Israélien. L'Iran veut disposer de plusieurs cartes pour arriver à la table des négociations en position de force.

Que peut changer l'investiture du nouveau président iranien Ebrahim Raïssi ?

Antoine Basbous. Le président Raïssi ressemble à un clone du guide suprême. Aujourd'hui, il y a un alignement des astres entre les plus radicaux, les Pasdaran (les Gardiens de la révolution) et ceux qui soutiennent la solution nucléaire pour faire de l'Iran l'équivalent de la Corée du Nord, c'est-à-dire sanctuariser le pays en détenant la bombe et ne plus rester à la merci de la bonne volonté des Occidentaux. Nous allons assister à plus de harcèlement des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région, en vue des négociations de Vienne.

Quel rôle joue l'Iran auprès du Hezbollah ?

Antoine Basbous. Il y a une subordination totale du Hezbollah envers l'Iran, d'autant plus que le chef du Hezbollah n'a cessé de dire et de répéter qu'il est "un soldat dans l'armée de Wali e-faguih", le guide suprême de la République islamique. Il le revendique haut et fort : "Je fais partie de l'axe de la résistance, je suis aux ordres de l'Iran". Nous savons bien que le Hezbollah est la version libanaise des Pasdaran. Sur le plan logistique, financier, de l'entraînement, de l'armement ... Tout vient de l'Iran qui a investi au Liban pour créer un bras armé en Méditerranée, extrêmement structuré et puissant et craint par Israël.

Une confrontation militaire pourrait-elle avoir lieu ou s'agit-il plutôt d'opérations de dissuasion ?

Antoine Basbous. Ni le Hezbollah ni Israël n'ont envie d'une nouvelle guerre actuellement. C'est une escalade sous contrôle. Israël a envoyé son aviation et n'a pas bombardé d'objectifs sensibles, ni touché une seule personne. C'est très rare de recourir à l'aviation : depuis 2006, ils ne l'ont fait qu'une seule fois. C'était une action destinée à tester le Hezbollah, ses missiles sol-air et pour connaître sa réaction face au changement des "règles d'engagement" en cours.

De son côté, le Hezbollah a réagi sans viser des objectifs stratégiques et sans recourir à des armes de précision. A ce stade, les choses sont amenées à en rester là. Le gouvernement du Premier ministre israélien Naftali Bennett veut montrer qu'il est fort et qu'il va faire mieux que Netanyahou. Mais en même temps, il est fragile car les Arabes de sa coalition peuvent lui faire défaut à tout moment. Le parti de Dieu veut pour sa part détourner l'attention de la scène interlibanaise et servir la cause de l'Iran. Si le Hezbollah était vraiment belliqueux, il aurait tiré sur des complexes militaires ou industriels avec des armes qualitatives. L'intérêt de l'un et de l'autre n'est pas d'engager un conflit actuellement.

Pourquoi ?

Antoine Basbous. A ce stade, Bennet, qui s'active aux Nations unies pour faire condamner l'attaque au drone iranien qui a frappé un navire en mer d'Oman, ne souhaite pas aller plus loin. D'autant plus qu'Israël redoute la force de frappe du Hezbollah et ses missiles précis. Si Israël a eu beaucoup de mal à contenir les missiles de Gaza qui sont un phénomène récent et embryonnaire, que dire du Hezbollah qui dispose d'au moins 150 000 missiles, dont des dizaines de milliers sont de longue portée et d'une précision redoutée qui peuvent couvrir toute l'étendue d'Israël. Les deux parties marchent sur des oeufs. Israël n'a pas encore trouvé la parade face à l'épée de Damoclès du Hezbollah. Sa dissuasion n'est plus d'actualité dans un conflit classique. Sans un accord politique qui accorde au Hezbollah toutes ses prétentions au Liban, une nouvelle guerre semble inévitable.

La communauté internationale est-elle divisée après cet évènement ? D'un côté, vous avez la France qui multiplie les marques de soutien au Liban et de l'autre les Etats-Unis qui soutiennent Israël.

Antoine Basbous. La communauté internationale dans son ensemble n'a pas besoin de gérer un nouveau conflit au Proche-Orient. La France soutient le Liban, plutôt la population affamée du Liban pour lui permettre de garder la tête au-dessus de l'eau. Les Etats-Unis sont partagés. Ils se retirent de toute la région et ne veulent pas appuyer Israël dans une démarche belliqueuse. Le président Biden n'a pas envie de s'engager dans un nouveau conflit. Sous Netanyahou, Israël avait les capacités de peser davantage sur l'administration Trump, que Bennet sur l'administration Biden.

Propos recueillis par Thibault Marotte (L'Express)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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