16/05/2023 Texte

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Syrie : comment expliquer le retour en force de Bachar al-Assad sur la scène internationale ?

Le fondateur et directeur de l'Observatoire des pays arabes Antoine Basbous tire les leçons de la réhabilitation de Bachar al-Assad au sein de la Ligue arabe, après des années de boycott international.

Depuis 53 ans, les Assad, père et fils, règnent en maîtres absolus sur les destinées d'une Syrie martyrisée. Leur technique éprouvée est simple : flouer leur peuple et tous leurs partenaires, sans se fixer de limites dans la répression pour garder le pouvoir et ses richesses. À la fin du XXe siècle, Hafez al-Assad s'était ainsi présenté comme le plus fervent défenseur de la cause palestinienne, si chère au cœur des Arabes. Cela lui a permis d'exiger du peuple syrien tous les sacrifices au nom de la «cause sacrée», ainsi que de satelliser celle-ci en créant une organisation de plus, la Saïka, et en achetant l'allégeance d'une autre, celle d'Ahmed Jibril. Mais derrière cet activisme de façade, la réalité fut que l'armée d'Assad a infligé plus de pertes à l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) que Tsahal !

Le champion du panarabisme promu par le parti Baas n'a pas non plus hésité un seul instant en 1980 à venir au secours des Perses – ses alliés de religion, en raison de la proximité entre les chiites iraniens et les Alaouites syriens dont le clan Assad est issu – qui plus est pour combattre l'autre parti Baas, installé à Bagdad. Assad a saigné à blanc son pays. Et pour trouver des ressources pour financer sa politique, il a envoyé son armée au Liban, d'abord clandestinement au début des années 70, avec pour mission d'attiser la guerre civile, puis pour «l'arbitrer», en bon pompier-pyromane. Même après l'expulsion de son armée en 2005 pour avoir commandité l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri au moyen de 1,2 tonne d'explosif, Assad a transformé le Liban en pourvoyeur de devises. Damas a également pratiqué l'extorsion de fonds auprès des pétromonarchies, en agitant la menace terroriste.

"La dernière trouvaille de Damas pour parer à ses difficultés financières majeures est le captagon, amphétamine exportée par millions de gélules à travers le monde et particulièrement prisée par la jeunesse du Golfe."

Seule la Turquie a fait reculer Assad en 1998, et l'a forcé à expulser le chef du PKK, Abdullah Öcalan, pour éviter un conflit armé imminent. Ankara avait en effet acheminé ses chars aux frontières, et le régime d'Assad répugne à agir à visage découvert. Il préfère employer des proxies, comme ceux qu'il a hébergés au Liban occupé et dont il s'est servi dans sa «diplomatie terroriste» : PKK kurde, ASALA arménienne, organisations palestiniennes satellisées, opposants de ses adversaires arabes…

La perfidie de la méthode Assad, que les Occidentaux ont préféré ne pas regarder en face, a semé l'illusion chez ses partenaires internationaux au point que chaque locataire de l'Élysée, depuis François Mitterrand, a opté pour des concessions, pensant qu'elles allaient adoucir les mœurs et les pratiques d'Assad, et l'éloigner de son allié et protecteur iranien. C'était pure illusion. Et, bien que démentie chaque fois par les faits, elle ressuscite toujours. Est-elle fondée sur le fait qu'Assad porte un costume cravate à l'occidentale, ou bien sur la volonté d'esquiver un choc frontal avec lui ? Tous les gouvernements français redoutent en effet la capacité de nuisance d'un régime qui n'a pas hésité à faire abattre un ambassadeur en fonction, Louis Delamare, en 1981.

La dernière trouvaille de Damas pour parer à ses difficultés financières majeures est le captagon, amphétamine exportée par millions de gélules à travers le monde et particulièrement prisée par la jeunesse du Golfe. Ce trafic rapporte à la Syrie et au Hezbollah au bas mot une dizaine de milliards de dollars par an. Les dégâts sur leur jeunesse ont été tels que les pays arabes ont saisi l'occasion du séisme dévastateur de février dernier pour lancer le processus de réintégration d'Assad au sein de la Ligue arabe, selon la logique «réhabilitation contre Captagon». Le retour de Damas devrait être officialisé lors du sommet arabe du 19 mai. D'après Reuters, l'Arabie irait même jusqu'à compenser financièrement le «manque à gagner» pour le régime syrien, à hauteur de quatre milliards de dollars ! Mais, au vu des méthodes éprouvées du régime Assad, le scénario le plus probable est que la réintégration et les compensations ne mettront pas un terme au trafic.

"Aujourd'hui, le dictateur est en voie de réhabilitation par ses pairs arabes qui, nonobstant le millefeuille de sanctions, ont décidé de prescrire ses crimes contre l'humanité et ses crimes de guerre."

Insubmersible, Assad est le seul chef d'État qui a échappé aux révoltes arabes de 2011. Mouammar Kadhafi et Ali Abdallah Saleh ont été renversés, puis assassinés ; Ben Ali s'est enfui et est mort en exil. Quant à Moubarak, il a été destitué par l'armée et a quasiment vécu dans un hôpital militaire jusqu'à son décès. Assad, lui, a d'emblée joué le «tout ou rien». Aucune concession n'était envisageable, car ce serait synonyme de mort ou d'exil. Il a remporté la manche, et a même profité de la guerre pour réaliser un objectif stratégique inatteignable autrement, l'éviction de quelque douze millions de Syriens, majoritairement sunnites, pour rééquilibrer en faveur de sa communauté alaouite la démographie du pays. Pour rendre cet acquis irréversible, il a également naturalisé massivement des chiites acheminés par l'Iran pour secourir son régime, et favorisé l'implantation de sociétés iraniennes dans les secteurs stratégiques en leur cédant des sites qui verrouillent et contrôlent les différentes régions de Syrie.

Aurait-il pu en être autrement ? Le tournant majeur de la guerre se situe en 2013, lorsqu'Assad a fait usage de l'arme chimique contre son peuple, malgré les menaces de Barack Obama. Le test a permis au dictateur de s'assurer que les Occidentaux – exception faite de la France – ne le délogeraient pas. Ces derniers ont même confié le démantèlement de son arsenal chimique à son allié historique russe ! Fort de ses deux parrains qui lui ressemblent, l'Iran et la Russie, Assad a ainsi pu verrouiller son pouvoir.

Aujourd'hui, le dictateur est en voie de réhabilitation par ses pairs arabes qui, nonobstant le millefeuille de sanctions, ont décidé de prescrire ses crimes contre l'humanité et ses crimes de guerre. Il règne sur un pays en ruines, morcelé et occupé par cinq armées différentes. Il dispose néanmoins de deux cartes majeures dans son jeu : la répression sans retenue élevée au rang de dogme, et l'exportation du captagon. Malgré ce bilan, une petite musique se fait entendre dans l'Occident défait par les méthodes cruelles d'Assad et son manque de courage : «ne soyons pas les derniers à renouer avec le régime de Damas». Tragique chant des sirènes…

Le Figaro

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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