13/08/2023 Texte

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Coran profané: Pourquoi attiser l’animosité entre l'Occident et l’Islam ?

Le 28 juin, Salwan Momika, réfugié chrétien d’Irak en Suède et ex-officier d’une milice pro-iranienne, brûlait, piétinait et maculait de sang de porc le Coran. Comment justifier les profanations du livre saint de 1,5 milliard de musulmans, devant la mosquée de Stockholm, le jour de l’Aïd al-Adha ? Pourquoi confondre liberté d’expression et droit d'insulter la foi des autres ?

La Cour suprême suédoise avait déjà statué en faveur du droit à manifester et cassé les arrêtés de police pour interdire ces autodafés. En janvier, une manifestation, réalisée devant l’ambassade de Turquie par un extrémiste suédo-danois, avait suscité une forte réaction d’Ankara et des pays musulmans. La décision de la Cour, motivée par l’absence de « menace concrète » a, ironiquement, eu lieu le même jour que l’arrestation de cinq personnes suspectées de projeter des attentats en représailles à la profanation de janvier.

Aussitôt, le président turc Erdogan a réaffirmé son opposition à l’entrée de la Suède dans l’Otan, se plaçant en défenseur des intérêts de l’islam. Vladimir Poutine, quant à lui, renforçait son aura, pourtant écornée dans le monde islamique, en se rendant à la mosquée de Derbent sur la mer Caspienne pour serrer un Coran contre sa poitrine, et affirmer que la Russie respectait la foi de tous ses musulmans.

À l’inverse, les intérêts occidentaux ont été frappés de plein fouet et l’ambassade de Suède à Bagdad incendiée ce 20 juillet. La sécurité des individus est en jeu : en avril 2021, le Quai d’Orsay a recommandé aux ressortissants et entreprises français de quitter le Pakistan. La tension montait depuis l’automne 2020, avec l’ouverture en septembre du procès des attentats de janvier 2015 à Paris, accompagné de la republication des caricatures du Prophète par Charlie Hebdo. Puis, après la décapitation de Samuel Paty par un islamiste et la réaffirmation par le président français de son soutien au droit à la caricature, Islamabad avait abusivement accusé Emmanuel Macron d’« attaquer l’islam ». Et une foule menaçante avait exigé l’expulsion de l’ambassadeur de France et assiégé la chancellerie.

Alors, l'acte de profanation de Momika était-il commandité par Téhéran et Moscou, pour exciter les radicaux, relancer l’hostilité envers l’Occident et fournir un argument à Ankara pour rejeter l'adhésion de la Suède à l'OTAN ? Ou pour devenir inexpulsable vers son pays d'origine ? Ces interrogations sont bien légitimes. En fait, le laxisme européen sert surtout les islamistes les plus radicaux qui poussent des cris d’orfraie et les dictateurs les plus cyniques qui instrumentalisent l’émoi des fidèles pour se légitimer.

Et alors qu'elles plaident pour un bon voisinage avec leurs partenaires musulmans, les minorités en pays d'islam sont les premières touchées par les retombées de la liberté d’expression à l'occidentale. « Je me sens en colère et plein de dégoût […]. La liberté d’expression ne doit jamais servir de prétexte pour mépriser les autres », a d'ailleurs réagi le pape François.

Faut-il encore défendre une approche radicale de la liberté d’expression, au motif que tout amendement serait une défaite ? Faut-il se laisser manipuler et abuser par des personnes mandatées pour provoquer des conflits et les entretenir, en investissant la haine de l'autre ?

Il serait temps de poser la question. Stockholm et Copenhague l'ont fait. Le ministre suédois de la Justice a indiqué que son pays allait se demander « si le système actuel était bon ou s’il fallait le reconsidérer ». Sans passé colonial, les pays nordiques pourraient servir d’éclaireur à l’Europe, sans que cette révision ne ressemble à une défaite.

Antoine Basbous, fondateur et directeur de l'Observatoire des pays arabes

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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