04/04/2024 Texte

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L'Iran fourbit sa riposte à Israël

Téhéran est obligé de réagir au raid meurtrier d'Israël sur son consulat en Syrie, mais n'a pas intérêt à un embrasement.

Comment dit-on « chien qui aboie ne mord pas » en persan ? Le régime iranien prépare sa riposte après le raid aérien, très vraisemblablement israélien, qui a tué, lundi, six gradés des Gardiens de la révolution à son consulat de Damas. Mais Téhéran va devoir calibrer sa riposte très précisément pour éviter un embrasement dans la région qui lui serait sans doute néfaste.

Certes, le numéro un du régime, l'ayatollah Ali Khamenei, a déclaré solennellement mardi qu'une « punition » serait infligée au régime sioniste. Et « les décisions appropriées » ont été prises, mercredi, lors de la réunion d'urgence du Conseil de sécurité national iranien présidée par le chef de l'Etat, Ebrahim Raïssi. Cette recrudescence de risques géopolitiques a contribué à une remontée du prix du baril de pétrole à des plus hauts depuis octobre, jeudi.

Des funérailles à surveiller

Téhéran n'a toutefois pas détaillé en quoi consistera sa riposte, laissant analystes, chancelleries et militaires israéliens spéculer sur la suite. Des indices seront peut-être donnés dans les discours lors des funérailles, ce vendredi, des six « martyrs » iraniens, dont Mohammad Reza Zahedi, le chef des opérations en Syrie de la force Qods, le bras d'intervention extérieure du régime des mollahs.

L'Iran peut d'autant moins rester les bras croisés que le raid de lundi, lequel n'a pas, comme d'habitude, été revendiqué par Jérusalem, est absolument sans précédent, puisqu'il a touché une représentation diplomatique, à l'inverse des dizaines de raids visant des Gardiens de la révolution en Syrie ces dernières années. Ce faisant, « Israël a franchi une ligne », estime Ali Vaez, analyste de l'International Crisis Group.

Une riposte modeste

Mais le plus plausible est que la riposte iranienne demeure modeste. « Il s'agira vraisemblablement pour le régime iranien dans les prochains jours de sauver l'honneur, vis-à-vis de son opinion publique comme de ses relais et alliés, mais sans pour autant prendre le risque d'une escalade », estime Antoine Basbous, directeur de l'observatoire des pays arabes, qui s'attend à ce que Téhéran demande à un de ses « proxys », ainsi qu'on appelle un allié agissant discrètement pour votre compte, de viser un centre culturel, ou un consulat lié à Israël quelque part au Proche-Orient, ou ailleurs.

« Il est probable que l'Iran fera payer Israël, mais de manière indirecte et par l'intermédiaire de ses partenaires et supplétifs dans la région », confirme Ali Vaez. L'Iran avait promis en décembre qu'Israël allait « payer cher » après l'élimination d'un général des Gardiens de la révolution à son domicile de Damas . Et puis… rien.

La crainte d'une implication américaine

En tout cas, « des tirs de missiles balistiques iraniens directement vers le territoire israélien sont hautement improbables », estime Antoine Basbous. Cela s'apparenterait à une quasi-déclaration de guerre de l'Iran à Israël, avec riposte probable des Etats-Unis, que redoutent les mollahs. Téhéran avait aussi promis une « vengeance impitoyable » après l'élimination en janvier 2020 par Washington du général Qassem Soleimani, chef de la force Qods. Il s'était finalement contenté de tirer quelques missiles vers une base américaine en Irak… après avoir prévenu discrètement Washington pour éviter toute victime.

De même, fin janvier, Téhéran avait intimé l'ordre à ses relais en Irak de cesser immédiatement leurs opérations après un bombardement sans précédent qui avait tué trois militaires américains en Jordanie. Laquelle se trouve dans la ligne de mire de Téhéran, estime Antoine Basbous, qui « cherche peut-être à y ouvrir un second front indirect ». Dans ce pays peuplé désormais en majorité de Palestiniens sont orchestrées depuis des semaines des manifestations devant l'ambassade israélienne pour réclamer la rupture du traité de paix de 1994…

La prudence du Hezbollah

Le Hezbollah, qui tire de temps en temps des missiles vers Israël, peut aussi augmenter le rythme et, surtout, la puissance ou la portée de ses tirs, mais ce n'est pas non plus le scénario le plus probable, selon les analystes. Quoique dotée de dizaines de milliers de missiles, dont certains d'une portée de plusieurs centaines de kilomètres, la milice chiite craint aussi une riposte israélienne. Elle n'a d'ailleurs jamais répliqué de manière dévastatrice aux raids israéliens menés contre elle au Liban, notamment celui ayant éliminé en janvier un responsable de son allié du Hamas dans ses bureaux, en plein centre de Beyrouth.

Israël prend toutefois ses précautions , avec la suspension ce jeudi des permissions dans toutes les unités combattantes, et le brouillage des signaux GPS afin de perturber d'éventuels vols de missiles iraniens, ou du Hezbollah. Au grand dam des taxis et livreurs à Tel-Aviv.

Yves Bourdillon (Les Echos)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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