01/07/2000 Texte

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Face à la modernité

En 1992, Olivier Roy publiait L'Echec de l'islam politique, sus citant un scepticisme assez général. A l'époque, il est vrai, l'islam politique était à son apogée, se radicalisant en Egypte, en Algérie, en Bosnie et ailleurs. Huit années ont passé et l'analyse d'Olivier Roy, bien qu'elle soit rarement citée dans la presse, fait désormais consensus. En témoigne la publication concomitante des livres de Gilles Kepel, Jihad, et d'Antoine Basbous, L'Islamisme, une révolution avortée ?. Comme l'explique Gilles Kepel dans l'introduction de son ouvrage, on dispose aujourd'hui du recul nécessaire pour analyser cet échec.

Gilles Kepel distingue trois phases. La gestation de l'idée islamiste contemporaine dans les années 60. Ses théoriciens ont pour noms Sayyid Qotb, l'idéologue des Frères musulmans égyptiens pendu par Nasser en 1966, Mawdoudi, le Pakistanais qui exerça une influence considérable en Asie du Sud et jusqu'à l'Afghanistan des talibans, et, bien sûr, l'ayatollah Khomeiny, le seul à avoir mené à bien son projet. La révolution islamique iranienne symbolise la deuxième période, à la charnière des années 70 et 80. Bien au-delà du monde chiite, son « effet de souffle » se propage dans tout le monde musulman. Le combat des moudjahidines afghans contre les Soviétiques, appuyés financièrement et idéologiquement par les Saoudiens, est le second pôle de cette expansion islamiste des années 80. Surviennent alors l'apogée et le déclin, que Gilles Kepel date du début des années 90, conséquence à la fois des contrecoups de l'invasion irakienne du Koweït, de la résistance des pouvoirs en place (beaucoup plus forte que ne l'ont cru bien des observateurs) et de la rupture entre les différentes composantes du mouvement islamiste.

L'aspect le plus roboratif du livre de Gilles Kepel est la mise en perspective des succès et échecs de l'islam politique au regard des couches sociales qui le soutiennent : la bourgeoisie pieuse, la jeunesse urbaine pauvre, et l'intelligentsia militante. Seul Khomeiny, par son habileté et ses ambiguïtés, a réussi à souder les trois groupes, du moins le temps de réussir sa révolution et de consolider son pouvoir. Partout ailleurs l'alliance entre la jeunesse urbaine pauvre et la bourgeoisie pieuse, lorsqu'elle existe, s'est délitée, la première reprochant à la seconde sa frilosité, et celle-ci reculant devant la dérive terroriste de groupes aux références théologiques douteuses. Toute l'astuce des pouvoirs en place - de l'Algérie à l'Egypte en passant par la Palestine ou la Jordanie - a consisté à récupérer la bourgeoisie pieuse en marginalisant les groupes extrémistes issus de la jeunesse pauvre.

Au terme d'une telle fresque, on est quelque peu surpris - et un peu désappointé - que l'auteur déduise de cet échec que les déçus de l'islamisme n'ont à présent d'autre choix que de se tourner vers la démocratie occidentale, seul vecteur possible d'une modernité à laquelle tous aspirent. Comme si le monde musulman était, lui aussi, parvenu à la « fin de l'histoire ». On partagera plutôt les interrogations d'Antoine Basbous. Au terme d'une étude passant en revue pays par pays les expériences islamistes, nombreux textes traduits à l'appui, il observe que les peuples musulmans éprouvent toujours un malaise et un sentiment d'humiliation vis-à-vis de l'Occident dont ils n'arrivent pas à se défaire. Après la faillite de l'islamisme violent des années90 et devant l'incurie des régimes, Antoine Basbous pronostique l'émergence d'une relève islamiste encore inconnue, mais qui « prendra, à n'en pas douter, le relais de la vague qui vient de s'abattre ».

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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