16/05/2008 Texte

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Le Hezbollah se bat pour l'Iran

Frédéric Pons, le 16-05-2008 La milice chiite veut conserver son statut d’État dans l’État. Aidée et utilisée par la Syrie et l’Iran, elle veut faire du Liban une république islamique. Menacé de perdre quelques unes de ses incroyables prérogatives au sein de l’État libanais, le Hezbollah a réagi par ce qu’il sait le mieux faire : la guerre. Sa démonstration de force, entre le 7 et le 12 mai, à Beyrouth, puis sur d’autres fronts (à Tripoli au nord et dans la montagne druze au centre), a confirmé ses capacités militaires et sa détermination. Au prix d’une cinquantaine de morts en cinq jours de combats interlibanais. Les milices sunnites n’ont pas pesé lourd devant ses combattants aguerris, équipés d’un armement adapté à la guérilla urbaine. L’armée libanaise elle-même s’est abstenue d’entrer dans la bataille, pour ne pas risquer sa fragile unité (les cadres de l’armée sont pour la plupart sunnites ou chrétiens, la majorité de la troupe est chiite), alors que le pays est privé de président depuis le 24 novembre 2007, après l’échec, cette semaine, de la dixneuvième tentative pour en élire un. Le Hezbollah avait accrédité son aura de “résistance nationale”, au moins aux yeux d’une partie de l’opinion, en concentrant son activité militaire contre Israël. Ses activités politiques et sociales semblaient valider son projet de parti légaliste. Les moins naïfs rappelaient tout de même le grignotage de la souveraineté de l’État, à travers le maintien de sa milice armée et le quasi-statut d’extraterritorialité arraché par le Hezbollah dans ses fiefs de la banlieue sud de Beyrouth et du sud du Liban, presque défendus aux représentants de l’État. « Nous savons que les régions interdites aux forces légales de sécurité sont un grand réservoir de voitures piégées, qui peuvent être envoyées à tout moment en n’importe quel lieu », accusait le chef druze Walid Joumblatt, le 3 mai, en révélant ce que les services de renseignements, savaient depuis des années, sans oser le dire ouvertement : l’existence d’un réseau autonome de télécommunications (100 000 lignes parallèles), monté par le Hezbollah avec l’aide d’“experts” iraniens, le contrôle quasi total de l’aéroport international de Beyrouth (le seul du pays), avec l’installation de caméras de vidéosurveillance braquées sur la piste 17 et le salon d’honneur, par où transitent les avions privés et les délégations officielles. Le Hezbollah avait aussi obtenu un droit de regard sur tous les agents de l’aéroport, grâce au général Wafic Choucair, son responsable de la sécurité, leur homme de confiance. Le 3 mai, Joumblatt et la majorité parlementaire demandaient sa destitution, l’expulsion de Mohamed Reda Chibani, ambassadeur de l’Iran et l’interdiction d’Iran Air sur Beyrouth. «Nous n’utiliserons pas les armes à l’intérieur », avait promis Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Il n’a pas tenu parole : « Nous prenons les armes pour défendre nos armes », a-t-il expliqué cette semaine, menaçant le successeur éventuel de Choucair : « Tout autre serait un usurpateur. » Le Hezbollah a réagi dans la rue, au risque de faire éclater le pays dans une nouvelle conflagration communautaire. Depuis deux ans, les chrétiens et les sunnites les plus déterminés se réarment et les druzes se préparent à une guerre de siège dans le Chouf. Le projet politico-religieux officiel du Hezbollah est connu depuis 1982 : la libération de la Palestine et la destruction de l’État d’Israël. Dans cette “mission sacrée”qui alimente la guerre ouverte ou le terrorisme depuis un quart de siècle, le Hezbollah dispose de deux puissants parrains : la Syrie et l’Iran. Les Syriens n’ont jamais reconnu l’indépendance du Liban. Ils l’ont asservi avec plus ou moins de succès entre 1976 et avril 2005, avant d’en être chassés lors de la révolution patriotique qui suivit l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005. Depuis, la Syrie a réactivé ses réseaux, pour revenir au Liban. Dans ce jeu de mort où tous les coups sont permis (une quinzaine d’assassinats de militants antisyriens ont été commis à Beyrouth depuis 2005), le Hezbollah est le premier de ses supplétifs, plus ou moins obéissant, mais l’un des plus efficaces. « L’Iran et la Syrie ont investi pendant un quart de siècle environ 30 milliards de dollars pour faire du Hezbollah le bras armé de l’Iran en Méditerranée », explique à Libération Antoine Basbous, le directeur de l’Observatoire des pays arabes. Formée, équipée et entraînée par les gardiens de la révolution, la milice libanaise s’est vu confier deux missions stratégiques. D’abord, instaurer une république islamiste dominée par les chiites à l’ouest de Téhéran. Dans le bras de fer religieux et culturel qui oppose les sunnites et les chiites depuis presque 1 500 ans, le Liban prend figure de modèle possible. Les textes du Hezbollah parlent d’une “islamisation exemplaire” pour une société arabe. Ce rêve impérial chiite permettrait de prendre à revers le monde sunnite, qui s’étend de Beyrouth à Bagdad, en passant par les monarchies pétrolières du Golfe, jugées impies et corrompues. La haine qui oppose les chiites aux sunnites annonce une guerre impitoyable au Liban. L’autre objectif stratégique du Hezbollah et de son parrain iranien est d’entretenir l’insécurité sur la frontière israélienne, d’être prêt à tirer des missiles dans la profondeur du territoire hébreu, sur ordre de Téhéran.Le Hezbollah doit pouvoir, à tout moment, ouvrir un nouveau front, dans le cadre de la confrontation entre l’Iran et la communauté internationale sur le programme nucléaire iranien. « Les événements de ces derniers jours à Beyrouth sont une guerre civile pilotée par des intérêts étrangers, poursuit Antoine Basbous. Le Liban est une terre où il faut vaincre l’impérialisme et le sionisme. Ce pays a été désigné comme un théâtre des opérations, comme une terre de djihad. » Le Liban et Israël sont ainsi considérés comme le champ d’action d’une “bataille de substitution”. Si l’Iran ne peut pas frapper les intérêts occidentaux directement, le Hezbollah le peut. Il l’a déjà fait dans le passé. Les contingents américains et français l’ont payé chèrement dans les années 1980. L’Histoire peut se répéter. Face à ce djihad, les Libanais et leurs amis, dont la France (qui entretient 2 000 casques bleus au sud du Liban), n’ont pas d’autre choix que de renforcer la souveraineté du Liban. La prise de risque est importante, mais moins que l’inertie.L’éditorialiste Issa Goraieb a posé clairement le dilemme dans l’Orient-le Jour, le 9 mai : « Que sévisse l’État et il risque le naufrage dans un océan de violence. Qu’il laisse faire, il meurt aussi, mais à petit feu. »

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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